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Le colonel marchait d’un pas lent dans les coursives menant au centre de commandement. Il avait beau faire le fier, l’appréhension lui tiraillait l’estomac. Ôh oui, il connaissait bien la zone proche de la Passe vers laquelle l’Exode se dirigeait, et pour cause…

 

… C’était dans une autre vie avant la révolution, avant John Fidgerald Hill lui-même, un nom composé de plusieurs penseurs célèbres. C’était un temps où on ne le nommait — à la pirate — que par son prénom et une caractéristique propre :  Igor le penseur, demi-frère du puissant Misha et dEsfir la sans-peur, rejetons d’un grand et puissant chef pirate. Ils n’étaient que trois enfants, ce qui était peu, comparé aux sept femmes de leur géniteur. Chez les pirates, les règles communes à la civilisation étaient non avenues et, bien évidement, le libertinage phallique régnait en maitre. Pourtant les femmes combattaient sur un pied d’égalité, sans doute par nécessité de survie pour leur famille, et elles n’étaient pas moins redoutables que les hommes. Sa grande sœur Esfir, par exemple, était une grande bretteuse devant l’Éternel. Les leçons d’escrime qu’elle lui prodiguait dans la base, lors des périodes de repos, le mettaient toujours à genoux.

« Igor, ta garde ! Relève ta garde ! Voilà, comme çà… Plus haut, et je t’ai déjà dit qu’il fallait bouger plus, c’est la mobilité qui fait l’escrimeur, sinon tu n’es qu’une cible !

Je… j’essaye. Même sans ton agilité, je devrais… pouvoir y arriver !

L’agilité viendra avec la pratique. Tu te souviens de la dernière escarmouche ? Avec ce garde royal, tu avais failli y passer. Il faut t’améliorer : les livres, ce n’est pas tout dans la vie d’un pirate ! »

Igor essayait de penser à ses pas, tout en contrant les attaques de sa vis à vis, se permettant même une feinte. Mais la jeune femme maîtrisait l’épée avec la grâce et l’agilité de ceux rompus aux combats, rien ne pouvait vraiment la surprendre et son frère faisait face à un mur d’acier. Elle n’avait que quatre petites années de plus que lui, collectionnait les amants et multipliait les batailles prestigieuses, aux cotés de leur père et de Misha. Une belle mèche blonde lui zébrait sa chevelure courte, et un fin collier d’or, qu’elle portait toujours autour du cou, lui servait de bijouterie : il datait de son premier pillage, un souvenir de ses débuts dans la piraterie, en quelque sorte. Malgré sa petite trentaine d’année, son nom et sa mèche n’étaient déjà plus inconnus dans les milieux pirates, et même chez leur proies.

Sur une ultime pirouette, elle désarçonna son frère. Le fleuret d’Igor s’envola, rebondit et glissa sur la poussière du sol jusqu’à l’entrée de la salle d’entrainement et du nouvel arrivant : Misha. Le géant était, avant tout, une masse physique, un être tout en muscle à la longue moustache rousse et à la voix tonnante. Il s’amusa sincèrement de la maladresse de son frère, en ramassant l’arme.

« Igor, tu devrais retourner à tes livres ou utiliser quelque chose de vraiment conçu pour les hommes ! »

Dit-il en tapotant le manche de sa redoutable hache, pendue contre son dos. C’était l’ainé de la famille, l’officier en second de leur père quand ils prenaient l’espace à bord du navire et bientôt le commandant de son propre vaisseau. Si Esfir commençait à être connue, la queue de cheval rousse de Misha était déjà redoutée de tous : il se montrait sans pitié avec les équipages capturés et sans aucune compassion avec les faibles ou ceux qui manquaient de courage sous ses ordres. Pourtant, malgré cette aura de violence, l’ainé aimait sincèrement sa famille, bon enfant et protecteur : malheur à celui qui leur chercherait des noises. Igor le lui rendait bien, préférant souvent être à ses cotés lors des batailles, son frère lui assurant une protection presque parfaite.

Car il était vrai que les livres passionnaient plus le jeune homme que les armes. Certes, il se savait pirate et destiné à vivre au milieu de la fureur des abordages et des pillages, mais il ne manquait pas une occasion pour se plonger dans la culture, les romances, les cartes spatiales, tout ce qui pouvait le faire voyager dans le temps et l’espace bien plus loin que ni lui ni son père n’avaient jamais été. Sa prédilection pour les poètes anciens était la seule compétence qu’on lui reconnaissait, en plus de la parenté de sa glorieuse famille, mais c’était un fait paternel, pas une compétence. Alors il s’entrainait, voulait participer aux batailles, aussi rudes soit-elles, cherchant, en faisant montre d’un courage sans faille et d’une analyse toujours plus fine, à combler ses lacunes de combattant. Malheureusement, cela semblait plus émouvoir les autres que réellement les impressionner.

Misha s’approcha et lui rendit son arme. Sur une bonne claque dans le dos qui fit tousser le jeune homme, il ajouta :

« Si tu veux un conseil, Igor, lit les cartes et continue à apprendre. On a des guerriers, mais des stratèges, ça c’est plus rare. »

Et sans préambule, il enlaça sa sœur par la taille, lui embrassant le cou.

« Évidement, je ne parlais pas pour nous, n’est-ce pas, Achtouka ?

Mais je n’en avais jamais douté, mon cher frère. Aller, enlève tes mains de moi avant que je ne te les coupe. Ce serait dommage pour toutes ces filles de bar que tu trousses dans tes soirées de beuveries, non?

Ha, ha, ha ! Achtouka, ce ne sont pas mes mains qu’elles cherchent, ha ha ha ! Y a que toi qu’est insensible. »

Demanda-t-il en la lâchant. Igor avait déjà remarqué ce manège que les deux se livraient, pardon, que Misha livrait à leur sœur. Certes, ils n’étaient que demi-parents, mais tout de même. Le pirate géant en faisait un peu trop, comme s’il tentait une cour maladroite. Pourtant, comme le signalait Esfir, ce n’étaient pas les conquêtes qui lui manquaient. Sa virilité et son endurance étaient elles aussi légendaires, et les femmes accouraient dès qu’il se présentait quelque part. Comble de la honte, il en avait prêté une à Igor, pour son dépucelage lors d’une soirée en retour de campagne. Les livres n’attisent pas les fantasmes féminins, semblait-il.

« Parce que j’aurais l’impression de toucher père, espèce de grand nigaud ! »

L’autre parti dans un dernier grand rire et se dirigea vers la sortie. Juste avant de franchir la porte il ajouta.

« Et n’oubliez pas de régler vos réveils. Demain, nous partirons tôt. Un convoi transportant les richesses d’un vieux marchand passera à portée. Bonne nuit, Igor, bonne nuit, Achtouka. »

Achtouka, un diminutif de guerre inventé par le géant pour leur demi-sœur. Une divinité païenne oubliée…

 

Esfir resta à l’observer alors qu’il disparaissait dans l’ombre des coursives, le regard indéchiffrable.
 

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Prod: PodShows
Réa: Raoulito
Relecture: Arthur R, Icarion
narration: Tristan
Rôles:
Esfir: Kanon
Misha: Zylann
J.F.Hill: Raoulito
Compo: Ian, cleptoporte
Montage: Bleknoir