Red Universe Tome 1 Chapitre 26 Épisode 11 : " La guerre des Stuffies (3)"

Tous ne purent entrer, mais rapidement l’atmosphère devint lourde de respirations, de transpiration ou de la simple élévation mécanique de la température. De son imposant fauteuil, le Stuffy mutualiste se leva et une haie s’ouvrit jusqu’à son alter ego. Lentement, il descendit quelques marches et s’approcha en boitant, abandonnant la distorsion de sa voix en détachant la prothèse collée à sa gorge :
Comme tu vois, j’ai aussi du mal. Mes pilules protègent un peu, mais ne font pas de miracles : une chimère usée est une chimère usée.
Je te rappelle que tu m’as donné ta parole que je contacterais mes hommes pour repartir, lâcha Stuffy ministère qui n’appréciait pas du tout cette meute d’agents mutualistes bloquant tous les accès.
Oui, oui... répondit énigmatiquement l’autre en s’approchant. Donc QuartMac par exemple, celui qui nous prête ses traits. As-tu cru sérieusement qu’il ignorait ce que deviendraient ses chimères non matures ? Ce... ce type les fabrique depuis des années et des années, il était censé être mort alors que Fabio et Ralato n’étaient que des adolescents ! Il maitrise la technologie du clonage et tous ses obstacles, il ne pouvait méconnaitre le risque que l’on prenait.
Mais je lui en sais gré. Car cela nous a ouvert les yeux, à moi et à l’autre.
Quel autre ? demanda doucement Stuffy ministère, comme s’il essayait de repousser ce qui apparaissait déjà comme une évidence.
Le Stuffy Souriant, bien entendu. Il m’a contacté alors que les premières certitudes s’imposaient à moi (comme à lui). Nous avons convenu qu’il était indispensable de poursuivre ce qui avait été entamé, mais cette fois en nous unissant, Souriants et Mutualistes. Les conglomérats de Talbot ont participé à la mise à mort de la bête en rapatriant d’urgence leurs fonds de partout, à la seconde même où se produisaient les explosions.
Tu entrevois maintenant le chronométrage de toute l’opération ?
Il le saisissait en effet : aux Souriants l’élimination de Ralato, aux Mutualistes celle de Stuffy ministère, tandis que l’attentat géant mettait à genoux la société humaine toute entière. Les Forces mentales désorganisées, il ne restait que l’armée qui ne saurait où donner de la tête. Résistant à l’envie de prévenir Ralato coute que coute, il contre-argumenta à l’autre Stuffy :
Même si Ralato et moi disparaissons, Poféus tient toujours très bien les rênes. Et il n’est pas du genre compréhensif.
Le président de l’assemblée, le parlementaire Wolf occupera l’intérim selon la constitution, tandis que Poféus tombera pour incapacité. Ce ne sera pas difficile... il est complètement fou depuis la mort de son amie la psychologue, les témoignages ne manquent pas. Wolf est un opportuniste, il se rangera avec nous le temps qu’on affirme notre emprise, on l’éliminera ensuite.
Les transmetteurs ne fonctionnent pas dans cette base, tout signal est coupé et nous nous sommes assurés que plus personne ne se trouvait à portée de ton pouvoir mental...
... donc tu vas mourir. Tu le sais, je pense, non ?
Stuffy ministère ne répondit pas. Toute cette mise en scène n’avait aucun sens, sauf à cacher autre chose :
J’ai toujours été faible de cœur, pour les nanas comme pour les mecs. Si tu avais voulu ma disparition, tu aurais pu être bien plus efficace. Qu’est ce que tu cherches, vraiment ? Et pourquoi tous ces Mutualistes doivent-ils y assister ?
Ha, ça... murmura Stuffy mutualiste. Il franchit le peu de distance restant jusqu’au Stuffy ministère.
Dans un curieux sourire, il écarta les bras devant lui, le visage levé au plafond en une soudaine expression de quasi-béatitude. Un grand gaillard en tenue sombre s’approcha de lui par-derrière et d’un mouvement sec, lui trancha la gorge ! Le rictus ne quittait pas la figure radieuse de ce QuartMac-Stuffy, alors que son corps s’affaissait sur le sol tel un vieux chiffon.
Le Stuffy ministère, dernier « Stuffy » de cette base et de cette planète, couvert de sang, resta sans voix. Il mit plusieurs secondes à détacher ses yeux de la vision morbide pour contempler l’assassin à la dague ruisselante encore levée. Leurs deux regards se croisèrent quelques secondes, puis l’autre lui adressa un sourire. L’Agent mental comprit enfin :
Tu t’es dupliqué en Mutualistes, tu as volé l’esprit de chacun d’entre eux !
Exact, répondit une femme derrière lui. Ils étaient ce qu’on appelait la « source », les esprits originaux que l’on dupliquait à volonté et qui restaient bien cachés dans les bases secrètes de l’organisation.
Lui, ajouta-t-elle en désignant du menton le corps gisant, n’était qu’une enveloppe condamnée.
Cela m’a pris du temps, poursuivit un Tropicalien qui sortait de la foule. Car toutes les notes de QuartMac ou de Heir n’expliquaient pas s’il était possible d’effacer une psyché vivante pour en imposer une nouvelle, sauf que...
Stuffy ministère compléta, coupant la parole à l’aberration des clones de son double :
Sauf que nous avons partagé l’esprit de Ralato pendant des mois et que cela nous a aidés à comprendre bien des choses.
À force d’expériences, en effet, confirma la première femme. Une fois la méthode au point, cela n’a été qu’une question de temps. Regarde donc ! Une armée de Stuffy, nous à l’infini ! Je l’ai fait !
Je vois ça, rétorqua l’autre. Et tu as fait venir tout le monde pour assister à ma mise à mort ? C’est quoi ? Une sorte de rituel pour faire plaisir à tes clones ?
En réponse, les Mutualistes présents sortirent une dague et la pointèrent vers Stuffy dans un geste, non pas menaçant, mais qui se voulait inéluctable. Plusieurs parlèrent en même temps :
« Nous désirons tous être là pour te voir mourir. »
Et quarante couteaux s’abattirent sur l’Agent mental changé en chimère bien malgré lui. La mise à mort dura de très longues minutes, le temps que chaque Mutualiste ait pu déchirer un morceau de la chair de leur ancien frère. L’une après l’autre, les lames aiguisées s’enfoncèrent dans la masse sanguinolente qu’était devenu le tronc de Stuffy. Il s’effondra au sol, sur la dépouille de son double mutualiste, et ce fut dans son dos ou dans ses côtes que la majorité des coups plurent.
Lorsque le dernier Mutualiste, le Tropicalien, vint planter sa propre arme dans l’amoncèlement de chair, il constata la mort de la chimère. Un rapide balayage mental le lui confirma, mais il y eut autre chose : une sorte de point luisant dans l’esprit s’éteignant, une sensation très subtile que l’excitation de l’assassinat des deux Stuffy avait occultée. Tous partagèrent cette étrange sensation et levèrent la tête. Une borne, un amplificateur psychique, avait été installé à l’insu de tous au sommet de la colline, sous laquelle se trouvait la mine, et elle était connectée d’une manière ou d’une autre avec le Stuffy ministère. Alors qu’ils s’inquiétaient, la brillance disparut et l’engin se tut.

À cent-vingt-mille kilomètres d’altitude, quatre croiseurs de la flotte spatiale étaient en orbite stationnaire. Lorsque le Stuffy des Forces mentales mourut, le petit appareil suivit sa programmation et émit l’impulsion attendue par l’escadre.
Les canons patientaient, leurs ogives pointées sur l’objectif et les ordres étaient clairs.
Un déchainement de fureur s’abattit alors sur la mine, la colline, le lac, la région, réduisant plusieurs villages, des routes, la forêt et même quelques maisons des faubourgs lointains de MaterOne-Centrum, en un amalgame déconnecté de millions d’atomes. L’erreur du Stuffy mutualiste avait été de se croire suffisamment protégé, face à son frère du ministère, pour venir le tuer en personne. Il avait sous-estimé le choc et le sentiment de trahison qu’il avait déclenchés chez celui qui restait, jusqu’à preuve du contraire, le seul Stuffy équilibré de cette partie de l’univers.
Les flammes brulèrent bien plus profondément que les seules fondations de la colline, le sillon arraché à la terre mettrait des siècles à cicatriser de l’impact cumulé de ces frappes orbitales.

Le vrai dernier Stuffy n’avait jamais souhaité se cloner et il avait personnellement vidangé les cuves de ses chimères de remplacement en maturation. Lui aussi pouvait estimer qu’une cause valait des sacrifices et, surtout, n’avait cultivé que peu d’espoir sur l’issue d’une hypothétique confrontation avec son double mutualiste.
Peut-être était-ce les douleurs, sans doute le carnage provoqué par son frère d’esprit, toujours est-il qu’il ne s’estimait plus en droit de vivre comme un fantôme.


SOUTENEZ REDUNIVERSE ! - Prod: podshows, Réa: Raoulito, Relecture: JMJ, iGerard, Acteurs : Rafa96: narration, Leto75/Drwolf: Stuffies, FallenSwallow: femme mutualiste, Lorendil: tropicalien mutualiste Derush/montage: Gvillaume/Ackim, Musiques: VG, Ian, Cleptoporte

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FORCES MENTALES - Juillet 2018
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