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Le feu de l’âtre crépitait, les flammèches se lovant tout autour des formes rougeoyantes du bois, poursuivant leur oeuvre de décomposition des buches déposées au centre du foyer. Ce spectacle était d’autant plus fascinant que le Contre-Amiral s’étonnait de ne plus être resté simplement attentif à quelque spectacle depuis longtemps, son esprit étant toujours actif à échafauder analyses et théories, complots ou parades. Un petit morceau de charbon incandescent se détacha de la masse et tomba sur le sol; roulant contre la grille de protection, il termina sa course en une gerbe d’étincelles féériques. On toqua à la porte : le thé était prêt. Un serviteur posa professionnellement tasses, sucrier et théière, faisant couler plusieurs fois le bouillant liquide ambré entre le récipient et un verre, prévu à cet effet. En suivant la manoeuvre souple et précise, Poféus croisa le regard de la praticienne et se surpris à détourner le sien. Le visage de cette femme était une image trop sereine, ses yeux étaient trop profonds, trop analytiques. L’Histoire est emplie de ces personnalités capables de paraitre si neutre qu’elles en désarmaient leurs adversaires pour mieux les abattre par traitrise !

La fenêtre étouffa un coup de tonnerre venu du dehors et la pluie résonna d’autant plus fort qu’elle était devenue une belle averse. Le serveur conclu son office puis déposa délicatement deux serviettes fines, de chaque coté de la table, avant de se retirer à pas de loup. Poféus ne pouvait rester silencieux plus longtemps, et tous deux le savaient.

“ Comme je vous l’ai dit, ma compagnie n’est guère distrayante… ” commença-t-il  en prenant deux sucres qu’il noya dans sa tasse à l’aide d’une petite cuillère, “ Je vous imagine plus… prolixe en la matière. Votre métier doit vous offrir quelques anecdotes dignes d’égayer ce genre de moment, je présume ?


  • Amiral, vous n’ignorez pas que ma profession relève du secret médical. ” Elle lâcha un unique sucre dans son thé, tournoyant astucieusement sa cuillère pour le dissoudre plus facilement, puis elle poursuivit dans un sourire moins convenu: “Donc même sous le sceau de l’anonymat, je n’aurais, en aucune manière, le droit d’aborder mes rencontres avec quelqu’un qui ne serait pas dans un cadre purement professionnel, tel un confrère par exemple.” La psychologue porta alors le thé à ses lèvres et, du bout de celles-ci, en but quelques goutes, testant ainsi la concentration en sucre. Visiblement satisfaite, elle reposa la tasse sur sa soucoupe, se contentant d’envelopper à nouveau Poféus de son regard profond. “Evidement comme vous êtes à la tête d’un des meilleurs service de psychologie de la planète, je veux parler des Affaires Mentales, et que vous n’êtes pas un patient, je dois pouvoir me laisser aller à raconter quelque petite expérience des plus passionnante. Accordez-moi simplement de ne pas donner de nom ?

  • Bien entendu” répondit le Ministre, croisant les bras en s’installant plus profondément dans son fauteuil, “Allez-y, nous avons un peu de temps, comme je crois vous l’avoir déjà dit”

  • Vous me l’avez dit, en effet…” Elle reprit sa tasse et en avala une plus grande gorgée, fermant les yeux, déglutissant doucement, comme pour mieux laisser au Jasmin le temps d’imprégner ses papilles. “Mmhmm, le savoir-faire de votre domesticité est à la hauteur de votre fonction, Amiral, ce thé me rappelle réellement ma jeunesse au bled. Dites-moi, je n’ai trouvé nulle trace de votre prénom dans les notes officielles ? On ne parle que de votre grade, votre fonction ou votre nom de famille.

  • Oui, je n’aime pas que l’on soit familier avec moi, je l’ai fait effacer systématiquement.

  • Je vous comprend : partager son prénom c’est souvent donner aux autres une sorte de passeport pour son intimité. Le soumettre ou non, est déjà une affaire de choix de vie.

  • Croyez-vous ? Vous vous nommez Calande, m’avez-vous dit, et c’est d’origine Brune si je ne m’abuse. Pourtant je n’ai aucune entrée spéciale pour votre esprit. Mes Mentaux sont bien plus efficaces à ce jeu, croyez-en mon expérience.” Ne venait-il pas de tomber dans un piège ? Lorsque l’on ouvre une entrée, on peut empêcher les gens d’y pénétrer, ou justement les laisser en passer le seuil, car même sur leurs gardes, ils sont désormais dans votre territoire ! “ Vous me parliez d’une anecdote amusante, je vous écoute Madame Rorré. ”

Le sourire de la praticienne s’accentua légèrement avant de se reprendre. Baissant les yeux, elle se tapota délicatement la bouche avec la serviette, puis le perça à nouveau de son regard. Poféus sentit alors une sueur glacée lui parcourir l’échine : qui est le chat et qui est la souris ici ?

“ En effet Amiral. ” Répondit-elle sobrement, puis à son tour, elle s’installa plus profondément dans son fauteuil, croisant ses doigts sur le ventre en une attitude rappelant certaines anciennes divinités tropicaliennes. “ C’est un de mes patients, une personnalité de premier plan, une personne qui, permettez-moi d’insister sur ce fait, est précédée d’une réputation de fermeté et… de puissance (vous seriez surpris, Amiral, de savoir combien il peut être intimidant d’aller au devant de quelqu’un comme cela). Et lorsque l’on creuse un peu, lorsqu’on laisse ce personnage s’imposer devant vous, on découvre un être humain, torturé par ses peurs et ses désirs, aux nerfs tendus sous cette pression constante que seul le pouvoir ou les hautes responsabilités savent appliquer. Vous devez comprendre facilement cela je pense.


  • Oui. Je me demande bien si celui que vous appelez votre patient nécessite vraiment l’intervention d’un psychologue. Il me semble… De très bonne constitution psychique pour supporter cela quotidiennement.

  • Il le semble en effet. Sauf qu’il a fait appel à moi, et cela, compte tenu de sa fonction, n’est pas un acte anodin, loin de là : il a des secrets et des ennemis (qui n’en a pas à ce niveau ?) et rien que de prendre contact avec un praticien peut être su et interprété comme une faiblesse. Alors la question qui se pose est : pourquoi ?

  • Un moment de doute peut-être ? Probablement quelque chose de temporaire et de peu d’importance. Il s’en rendra vite compte et vous laissera retourner à votre cabinet, soyez-en certaine.

  • Peut-être… Et c’est une possibilité, sauf que dès notre premier entretien, il s’est appliqué à user de son extrême intelligence non pas pour me dérouter ou me repousser, mais contre lui-même. Je vous étonnerais si je vous en donnais tous les signes. J’ai vite eu la certitude que cet homme était en tourment; quelque chose, en lui, lui semblait si dangereux pour l’existence qu’il menait, qu’il s’est senti obligé de me contacter, malgré ses appréhensions.

  • Je n’arrive pas à éprouver le moindre amusement à votre histoire, Madame.

  • Je vous l’ai décrite comme passionnante, Amiral, ce qui est différent. Mais surtout le plus intéressant est qu’il a suffit d’une petite dizaine de minutes pour diagnostiquer une schizophrénie en phase ascendante. Elle s’est caractérisée par plusieurs absences brusques et prolongées de ce patient, alors que des personnes étaient présentes sur le lieu de la rencontre.

  • C’est… C’est arrivé plusieurs fois ?”

Un violent éclair zébra le ciel, illuminant la pièce une fraction de seconde avant de disparaitre dans un fracas sonore où vibra le verre des vitres. Plusieurs fois ? Mais non, c’est arrivé tout juste une.. Enfin, lui semblait-il ? Elle avait tout deviné, il se tourna vers le feu, les buches, l’âtre, la cheminée, ses yeux n’arrivaient pas à se fixer. La pluie redoublait dehors et un nouveau coup de tonnerre gronda au loin, assourdi par la distance.

“Vous ne prenez pas votre thé, Amiral ? Il risque de refroidir, ce serait dommage.”

Par réflexe il la regarda, hypnotisé par le regard de cette femme à l’allure pourtant si frêle.

“Je.. je n’ai.. En fait oui, je vais en prendre.” Et il s’efforça de prendre la tasse, malgré les doigts de ses mains glacées et rigides. Mais que lui arrivait-il ?

La psychologue se leva: “ Je pense que je vais prendre congé, Amiral, je n’ai que trop pris de votre temps. L’orage semble s’éloigner et je ne doute pas que la pluie fera de même. Vous féliciterez pour moi votre personnel. ” Et se penchant, elle lui tendit la main “…Et je vous remercie de votre hospitalité.” Plus spectateur de ses gestes qu’acteur, il la lui prit et la serra; la peau de ses doigts était fine, douce, et la main recelait une chaleur qui lui manquait.

“Je.. B..Bon retour Madame Rorré.


  • Appelez-moi Calande, si vous voulez Monsieur le Ministre.” Elle lui adressa un  dernier sourire puis s’éloigna naturellement vers la porte laissant quelques volutes du parfum léger tourner une ultime fois dans l’air. Dehors, la pluie semblait diminuer en intensité, et plus aucun coup de tonnerre n’était à noter depuis quelques minutes; elle n’avait effectivement plus aucune raison de rester. La femme tourna la poignée de la porte, semblant en traverser le seuil au ralenti, quand : “…Calande !

  • Amiral ?

  • J’ai besoin de l’aide d’une personne… de confiance, en effet.”

La psychologue se raidit dans l’ouverture, semblant jauger sa phrase: “ Il vous faudra accepter cette confiance Amiral, j’ignore jusqu’à quel degré vous le pourrez ? ” Tout naturellement, Poféus se retrouva donc devant un choix: cette femme avait dévoilé d’elle-même une partie du problème, et il devait décider si elle en valait la peine. Méritait-elle d’en savoir plus sur sa personnalité profonde ? Jusqu’où avait-il le droit de se confier et jusqu’où pourrait-elle accepter d’entendre ?

Un nouveau morceau de buche se détacha et, comme ses prédécesseurs, roula pour mourir en une gerbe d’étincelles contre la grille. Sorti du feu, il devenait froid et noir, n’ayant une existence que dans l’action et la chaleur; bientôt le foyer s’éteindrait et que resterait-il de lui… ou de Poféus ? Allaient-ils partager le même destin, s’enfoncer simplement dans le néant pour ne jamais revenir ? Le Contre-Amiral aurait-il seulement conscience d’être… parti ?

Il ne se retourna pas vers la psychologue, se contentant de fixer le bout de charbon, mais sa décision était prise : “ Angilbe. Je me nomme Angilbe Poféus.


  • Alors je vous propose de nous revoir après-demain, Mr Poféus, à la même heure et… dans les mêmes conditions. Vous venez de faire le premier pas, nous pourrons peut-être vous aider. ”

Puis elle ferma la porte du salon feutré et s’éloigna, laissant le Contre-Amiral seul, assis devant un feu de cheminée finissant, une petite porte ouverte en lui. Tandis qu’une pluie fine léchait les vitres du salon, il ressentait le léger appel d’air chaud sur ses mains si froides.

Production: Podshows

Ecriture & Réalisation: Raoolito, Icaryon, Andropovitch, Arthur R., Coupie, Quentinus15

Narration: Anna

Acteurs:

Pof (Poféus)
Coupie (Calande Rorré)

Compo: Ian

Montage: Richoult