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Le son de ses pas résonnait du claquement sec de ses semelles sur les dalles du large couloir. Les miliciens en faction à l’entrée de la double porte blindée se figèrent au garde-à-vous, alors que passait le commandant de leur transporteur, le Lieutenant-Colonel Onawane.

La petite femme aux cheveux courts pouvait paraitre fluette à tout mauvais observateur masculin qui ne serait attiré que par les formes pulpeuses ou les couleurs outrancières. Pourtant l’absence de maquillage ou le strict uniforme d’officier n’auraient su faire oublier son port droit, sa tête dressée au visage sévère et surtout son regard frondeur où deux yeux brûlaient d’intelligence.

Une fois passée l’entrée, l’ambiance déjà lourde du transporteur se changeait en quelque chose d’encore plus étrange. Des regards affolés, des cris étouffés, des sanglots. Dans tous les compartiments qui s’alignaient, on pouvait apercevoir vingt, trente patients sanglés à des civières superposées, autour desquelles du personnel soignant ajustait les doses de calmants ou la tension des lanières de cuir. Il faudrait réfléchir assez vite à une solution sous peine de se retrouver à court de calmant devant une population enragée et ultra-violente.

L’odeur de propreté parfumée de l’eau de javel cachait mal celles, derrière, d’urine, de selles, de transpiration… et de peur.

On lui indiqua où trouver le Docteur Blame, son médecin en chef, au milieu des couloirs, portes, sas et conduites en tout genre. Depuis qu’elle avait décidé de concentrer les soins portés aux malades dans cette zone des quartiers de l’équipage, on n’avait pas cessé d’y ajouter de nouvelles parties de quartiers adjacents ou même de ponts contiguës.  Mais malgré ce semblant d’improvisation, Onawane s’était bien gardée de multiplier les points d’entrée : avec le renfort des équipes de maintenance, elle avait fait délibérément souder tous les passages vers l’extérieur, ne conservant que la double porte blindée qu’elle venait de franchir plus tôt. Si on devait en arriver à la mise en quarantaine de cet endroit, il n’y avait pas d’autre solution.

Au détour d’un petit corridor, encore réservé quelques jours plus tôt à l’administration de ce que l’on devait bien appeler « hôpital » ou « camp de regroupement », elle découvrit son médecin en chef. Un genou au sol, il tentait de calmer deux petites filles en larmes. Derrière lui une femme, endormie sur une civière, s’y faisait solidement sangler par quelque robuste infirmière. L’une des petites filles présentait une trace de morsure tandis que l’autre avait un bandage au bras. Découvrant le commandant, il confia les enfants au personnel et enjoint son supérieur à le suivre vers son centre de recherche. On sentait Blame fatigué, las :

« Nous avons encore déménagé, et les deux nouveaux blocs que vous nous avez assignés seront pleins d’ici une journée ou deux. Le nouveau centre de recherche est de ce coté.


  • Vous devriez rapprocher votre personnel de l’entrée docteur, c’est un conseil qui peut s’avérer utile.

  • Pour le jour où vous déciderez de passer tout le monde au chalumeau ? Non commandant, j’ai déjà décidé il y a longtemps de donner ma vie pour mes patients. Ce n’est pas maintenant que je vais les abandonner. »

Onawane eut un pincement au cœur devant ce courageux praticien. Avant le début de l’épidémie, elle ne le voyait que comme un gros joufflu débonnaire, peu enclin à attirer l’estime sur lui-même. Depuis, elle avait découvert dans les archives qu’il s’était héroïquement conduit lors de l’assaut pirate qui avait tant marqué la chair et l’âme des habitants de ce transporteur. Jusqu’au vaisseau lui-même. Les couches de peinture n’avaient pas pu effacer l’odeur de la poudre ou les impacts des canons.

Quand à Blame, il s’était révélé sous son vrai jour avec l’augmentation du nombre de victimes, et le voici maintenant s’érigeant en protecteur au péril de sa vie. Elle devrait probablement envoyer des hommes le chercher manu militari quand la décision aura été prise de « réduire les risques de propagation ».

« Vous savez bien que ce genre de décisions ne vous appartient pas. De plus vous y serez associé de toutes façons. Pourquoi vouliez-vous me voir ? »

Le médecin l’entraina dans une salle blanche où s’affairaient plusieurs scientifiques en combinaisons hermétiques. Il ferma la porte derrière eux à clef.

« Pour vous annoncer que l’on avait trouvé, commandant. On sait d’où vient la maladie, annonça-t-il simplement.


  • Mais c’est une excellente nouvelle ! Je vous écoute, expliquez moi !

  • C’est une secte brune, les Octotes ; ils représentent environ dix à quinze pour-cent de la population brune. Ils sont surreprésentés dans la population malade, et c’est ce qui nous a mis la puce à l’oreille.

  • Oui, j’en ai entendu parler. C’est un mouvement extrémiste de la religion brune, c’est cela ?

  • Rigoureusement fondamentaliste, je dirais. Pour eux un prophète reviendra pour guider les humains le jour de la fin de tout, et pour être capable de le reconnaitre, il faut vivre exactement comme le précédent prophète. Le souci, c’est que les effets de distorsions temporelles ont mis à mal certains de leurs dogmes, et ce malaise a entrainé une recrudescence de ferveur religieuse.. un espoir de trouver des réponses dans une foi plus profonde, en quelque sorte.

  • Mais comment passe-t-on d’une ferveur religieuse à une maladie mentale contagieuse ? Et pourquoi l’autre transporteur n’est pas touché ?

  • Nous sommes les seuls à avoir une communauté d’Octotes, madame. Très peu sont parmi l’Exode, et encore s’agit-il d’une scission dans leur croyance. La majorité d’entre eux est restée sur MaterOne, attendant toujours la venue de l’élu des Dieux. Ceux présents ici pensent que le prophète est dans l’Exode et qu’ils ne l’ont pas reconnu car ils n’étaient pas assez fervents. En toute logique, ils se sont regroupés dans le même vaisseau… le notre. »

Onawane remarqua quelques livres théologiques sur un coin de table.  Le médecin devait s’être renseigné sur le sujet durant le peu de moments libres qu’il avait eu à disposition.

« Continuez.


  • Connaissez-vous la Lamprasine ?

  • Non, qu’est ce que c’est ?

  • Une plante hallucinogène millénaire, découverte du coté de la nébuleuse de Talbot. On en extrait une liqueur utilisée pour la fabrication du Nuage de miel, la fameuse drogue souriante, et par les adeptes de notre secte brune qui doivent l’absorber bouillante, broyée de piments rouges. C’est assez spectaculaire, mais d’après les livres Octotes, l’ancien prophète en faisait usage. Donc en plein questionnement, cette communauté en a augmenté l’utilisation… à la recherche de réponses.

  • Et ce serait cela qui a déclenché les crises de folie ? »

Blame tira un fauteuil, sans même en proposer un à son hôte et sortit de sa poche un petit tube à essai rempli d’un liquide brun clair, à la limite du jaunâtre.

« La liqueur de Lamprasine, commandant. Elle contient une molécule qui active certaines zones du cervelet inférieur, une partie très ancienne du cerveau. On ignorait que cette suractivité entrerait en résonance avec les effets de la Passe. C’était l’inconnue qui nous manquait. »

Onawane n’en revenait pas. Une drogue qui interagissait avec les effets de la Passe de Magellone ? Mais pourquoi personne n’en avait jamais parlé ? Elle se souvint alors du dernier conseil des commandants. Parmi les échanges qu’ils avaient eu, le Colonel Hill avait fait remarquer que vu la population traversant la Passe, des marchands souvent contrebandiers et des aventuriers souvent pirates, les seuls rapports fiables concernant les effets sur le corps humain, étaient ceux des vaisseaux d’exploration de la flotte spatiale de MaterOne. Mais le milieu militaire n’était pas propice aux cocktails communautaires ésotériques, ce qui faussait les observations, ou tout du moins, les rendait incomplètes.

Blame porta son regard sur ses laborantins qui travaillaient sans s’arrêter sur des pistes scientifiques bien au-delà de la compréhension de la femme militaire.

« Ces malades n’en sont pas. Ils sont hyper-réactifs aux effets de distorsions. Si nous sommes capables de ressentir des mini-distorsions, eux plongent en quasi permanence dans les micros, les nanos distorsions temporelles ! Quand cette mère a mordu ses petites filles, voulait-elle les blesser ou se défendre ? Qu’avait-elle vu exactement ? Peut-être un passé lointain où ses ancêtres combattaient on ne sait quoi dans les landes premières de MaterOne ?


  • Beau travail, comment peut-on soigner cela ? »

L’autre ne répondit pas tout de suite. Semblant encore plus las que les minutes précédentes. Presque par dépit, il posa le tube à essai sur la table et dégrafa le col de sa chemise.

« On ne peut pas, simplement. Les substances hallucinogènes restent actives trop longtemps dans la Passe, comme si le cerveau surexcité les entretenait, en augmentant lui-même la concentration. Les plus anciens malades ont un taux proprement inhumain de la molécule que l’on trouve dans la liqueur de Lamprasine. »

 

Ça y était, elle venait de comprendre le drame de conscience pesant sur son médecin en chef. On pourrait sans doute arrêter l’apparition de nouveaux malades, maintenant que l’on connaissait le vecteur, ça allait être facile, mais pour ceux déjà atteints, il n’y avait pas encore de solution. Pire, ils allaient s’avérer dangereux pour tout le monde quand les calmants et autres opiacés allaient manquer.

Et seule la solution d’Onawane, que le médecin désapprouvait, était déjà prête.


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Prod: PodShows
Réa: Raoolito
Relecture: Icaryon, Arthur R, Coupie, Quentinus15, Andropovitch
Narration: Raoolito
Acteurs:
Onawane (Istria)
Dr Blame (Akira)
Compo: Ian
Montage: Destrokhorne