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« Mon père… enfin… Bref, ma référence paternelle était un soldat très célèbre. Une de ces gloires militaires passées qui sont invitées en remerciement, croulantes de médailles et de citations, lors de toutes les grandes réceptions. On dit qu’il connaissait personnellement Lanéon II, une amitié d’enfance.
Nous habitions sur les terres offertes par le roi pour bons et loyaux services envers l’état. Une riche demeure, de vastes terrains, un titre de noblesse, une bonne rente, des domestiques, l’idéal pour qu’un enfant s’épanouisse, me direz-vous. Sauf que mon soldat de père n’était pas resté à la caserne. Il passait la plupart de son temps de retraite à tyranniser tout le personnel, régissant lieux, personnes et animaux comme pour une campagne militaire. Il était très stricte, vraiment… Une véritable étiquette, quelque chose d’étouffant, régissait la maison durant mes jeunes années.
Saviez-vous que j’avais des affinités avec les arts plastiques ? Très jeune déjà, j’accumulais les pots de peintures pour, de ma propre initiative, peindre des objets dans le parc, des statues, des charrues ou un vieux tracteur abandonné. Mère me laissait faire, voyant sans doute d’un bon oeil l’éveil de son enfant. Père n’était pas du même avis. Pour lui l’art n’était que faiblesse, un milieu de parasites jouisseurs et homosexuels. Et c’était d’ailleurs un homophobe convaincu. Il disait, à qui voulait l’entendre, que l’Homme n’était pas fait pour avoir une relation avec un autre représentant du même sexe, que cela était une erreur de la nature et qu’il fallait la réprimer. Dans ses meilleurs moments, il parlait de maladie mentale à soigner. Il avait même paraphé le préambule d’un livre choc sur le sujet, écrit par un médecin psychiatre, un ami de la famille. Peut-être le connaissez-vous ? Cela s’intitulait La maladie sans germe.
Oui, cela ne me dit quelque chose. Ce ne fut pas un grand succès, sauf dans certains milieux : il était jugé trop partial. Je crois qu’un de mes professeurs l’avait cité en parfait contre-exemple de choses à ne pas faire lorsque l’on se veut scientifique. »
Calande prenait des notes, encore et toujours. Entre deux lignes, elle se permettait d’intervenir ou de répondre à son patient. Poféus, de son coté, n’arrivait pas à détacher son regard de ses longues jambes qui n’étaient plus couvertes qu’à mi-cuisse par la jupe légère. Embaumé de volutes du parfum de la jeune femme brune, il se sentait l’incroyable envie de serrer leur chair tannée de ses doigts noueux. Quelle douce texture avaient-elles, ces cuisses ?
« Angilbe ?
Mhhm ? Je… excusez-moi. Votre… jupe me rappelait des souvenirs.
Cela me ravie. Et pouvez-vous m’en parler ?
Oui justement, j’y viens. Un de nos palefreniers avait deux filles. Si l’une était un vrai garçon manqué, l’autre était très féminine. Et celle-ci appréciait aussi l’art ainsi que la culture. Nous avons grandit ensemble. Et comme cela devait arriver, les années passants, nous avons commencé à avoir une relation sentimentale. Un petit peu trop jeunes sans doute.
C’est à dire ?
J’avais treize ans, et elle, douze et demi. L’amour est un bonheur Calande, mais il peut être le poison qui tuera l’amitié. »
Le contre-amiral leva les yeux vers la jeune femme, jugeant de sa réaction. Elle ne prononça pas un mot, griffonnant consciencieusement ses notes.
Dans un petit soupir, il se tourna vers la cheminé au feu inlassablement crépitant. Depuis les tous débuts de leurs séances, il n’avait jamais cessé de détailler les moulures, les bas-reliefs, la texture des nervures de marbre parcourant sa façade. Il la connaissait maintenant si parfaitement que parfois, lors d’une conversation au téléphone ou d’une attente quelconque, il se surprenait à en dessiner distraitement les contours sur un coin d’agenda, un bord de table.
Cette cheminée en elle-même n’était pas si fascinante, mais elle était devenu synonyme de « Calande Rorré ».
« Comment se nommait cette jeune fille, Angilbe ?
Méhala, et sa soeur Icnal. Une origine nordiste, comme toute la famille des deux parents, même si je dois préciser qu’ils avaient coupé les ponts et s’étaient éloignés de leur communauté.
Et votre relation a duré combien de temps ? Je veux dire, celle débordant de l’amitié. Pour des enfants de cet âge, cela ne devait pas être facile.
Pour une fois je vais vous surprendre alors. C’est venu naturellement, derrière une grange que nous étions en train de couvrir de graffitis, du genre street-art si vous voyez ce que je veux dire. C’était son idée : tester un style plus urbain qui serait en contraste avec le paysage campagnard qui nous entourait. Par un faux hasard, nos visages se sont retrouvés très proches, et couverts de peinture. La suite…
Oui je comprend. »
L’interrompit sèchement la psychiatre. Poféus nota cette étrangeté médicale, se demandant bien quelle thérapie autorisait ainsi à couper la parole à son patient ?
Il ne put s’empêcher d’en éprouver de la satisfaction. Il reprit, presque d’une humeur guillerette, mais la suite de l’histoire allait de toutes façons alourdir l’ambiance.
« Plusieurs semaines passèrent où nous vécurent heureux. Entre art et relation cachée, caresses volées et discussion interminables sur les courants artistiques. Je ne puis vous dire combien ma joie était à son comble. C’était une ouverture sur un autre monde, une faille dans le carcan familial, un espace de liberté totale à des années lumières de la froideur rigide du monde de mon père… Nous firent l’amour lors d’une soirée, en cachette. Elle voulait que cela se passe dans l’obscurité, alors on attendit la tombée de la nuit, trouvant quelque prétexte plus ou moins valable pour nos familles. Je doute que mes parents fussent aveugles, mais du point de vue phallique paternel, la nature était à l’œuvre et son fils apprenait la vie.
Et ceux de la jeune femme, acceptaient-ils cette relation aussi bien ? Du moins, fermaient-ils les yeux également ?
Elle ne voulait à aucun prix qu’ils le sachent. J’en ignorais la raison à l’époque. Sa sœur semblait au courant, c’est à peu prêt tout ce que je pouvais dire.
Vous savez, c’est un petit milieu que ce genre d’endroit. Tout le monde se connait et se voit. Je ne sais pas comment elle a fait pour conserver le secret. Personne ne changeait spécialement d’attitude ou ne me faisait de remarques sur le sujet. Etait-ce l’ombre de mon père derrière ce statut quo ? Encore maintenant, je me le demande. »
Petite pause. Il ne savait comment poursuivre, visiblement. Les mots avaient du mal à trouver leur voie au travers des méandres de ses pensés. Tant de souvenirs, perturbants, et la présence de Calande, plus que jamais troublante. Comment pourrait-il lui raconter la suite ?
« Angilbe, vous me dépeignez un tableau à la fois idyllique et presque commun compte tenu de la situation. Mais votre phrasé ne peut cacher votre trouble. Si vous êtes toujours prêt, alors racontez-moi la suite. Ou peut-être préférez-vous remettre cela à une prochaine séance ?
Méhala était un jeune homme, et non une femme. Il avait menacé sa famille d’un suicide s’ils ne le laissaient pas vivre sa différence. Et tout notre bel univers allait voler en éclat peu après. »
S’empressa de lâcher le contre-amiral, comme pour la retenir à ses cotés.
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Prod: PodShows
Réa: Raoulito
Relecture: Arthur R, Icarion
narration: Andropovitch
Rôles:
Calande Rorré : Coupie
Poféus : Pof Magicfinger
Compo: Ian
Montage: Andropovitch