Toute l'équipe de Red Universe est solidaire des victimes de l'attentat de Manchester et de leurs proches.

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Momumba Arlington patientait derrière la grande verrière du centre de commandement de Transporteur 3. Au-delà s’étendait l’infinité de l’espace sidéral, lieu de tous les espoirs et de toutes les peurs. IL lui avait dit que Benkana et Transporteur 7 allaient arriver à quelques encablures de leur position. En conséquence, le colonel venait d’affréter une navette avec du personnel médical et technique ; elle se tenait sur l’air d’envol du spatioport, prête à décoller. Apparemment, les Nalcoēhuals avaient pratiqué la même « chirurgie » sur l’autre partie de l’Exode, détruisant pistes de décollages, chasseurs, moyens de défense, de communication et, surtout, les compresseurs dimensionnels.
Qu’à cela ne tienne, Ragnvald possédait des méthodes de transport bien supérieures à toutes les technologies actuelles, nalcoēhuales incluses. Ses corvettes faisaient fi de la folle perturbation régionale créée par la multitude de pulsars, géantes rouges et autres quasars qui hantaient le Cercle de Khabit, et recelaient de surprenantes capacités telle que celle qui se produisait maintenant sous ses yeux.
Un cercle parfait de lumière se dessinait lentement au loin, dans l’éther. Lorsqu’il se ferma, l’espace à l’intérieur disparut simplement, laissant apparaitre Transporteur 7 remorqué par deux corvettes qui se découpaient sur une autre configuration d’étoiles. Pendant que le géant d’acier traversait l’étonnant portail, Arlington devina l'extrémité de plusieurs corvettes aux abords du passage, source probable de la magie qui se déroulait sous les yeux de tous.
La formation rompit les rangs une fois le vaisseau passé et le trou dans l’espace disparut aussitôt. Pourquoi la technologie de Ragnvald ne pouvait-elle le maintenir pour les trois autres transporteurs ? Mystère, sans doute une limitation d’énergie… IL était assez avare d’explications techniques.
Trois quarts d’heure plus tard, le sas de la navette s’ouvrit, dévoilant une Aurora Benkana fatiguée, mais heureuse de retrouver un ami qu’elle pensait ne plus jamais revoir :
Momumba, fit-elle en l’enlaçant à la grande joie de ce dernier, tu es vraiment la meilleure chose qui nous soit arrivée récemment.
Hé, hé, hé… Dans ma famille, on disait que l’homme juste tombe sept fois et se relève. Il me reste encore six jokers, donc ! Mais toi, comment vas-tu ? Vos épreuves n’ont pas été faciles d’après ce que j’ai appris.
Non, mon vieux, pas du tout. Et… tu sais sans doute, pour John.
Le colonel grimaça, laissant le silence flotter quelques secondes.
Il… il me manquera, comme tous les autres.

Viens. J’ai cuisiné un superbe Roubiano qui nous attend autour d’un café dans ma cabine. On pourra discuter plus tranquillement avant de rencontrer Décembre…
Parfois, la mesure des pertes ne peut se faire qu’à l’aune du gain.
Momumba reconnut cette citation de J.F.Hill qui lui était déjà revenue en mémoire il y a peu, alors que son transporteur réapparaissait dans cette dimension. Cela le replongea dans ces évènements qui vont vous être narrés. Momumba Arlington lui-même se plaisait à les introduire comme suit…

*

Une petite corvette de Ragnvald venait donc de nous intercepter. Nous n’avons pas ri longtemps alors, car des dizaines, des centaines de nouvelles corvettes se sont matérialisées tout autour, armes braquées… et le capitaine Carrillo, mon second, poursuivait la litanie des apparitions :
« Mon Colonel ! Flashs de transitions multiples en sept, quatre, vingt-deux et soixante-et-un. Et il en arrive d’autres ! »
Fabio, ce jeune « soldat » qui n’en était certainement pas un, a ajouté :
Ai-je… oublié de vous préciser qu’ils… hem… détestent MaterOne ? 
Nouveaux flashs en huit, dix-huit, quatorze, cinq, trente-et-un, vingt-deux, trente-trois…
Même avec toutes nos défenses activées, nous n’avions qu’une chance ridicule de survie lorsque cet essaim s’abattrait sur nous.
Oui, la phrase de John était, alors, bien d’actualité.
Carrillo dénombre nos assaillants à deux-cent-vingt-quatre appareils, lorsque Fabio, le regard toujours dans les nuages, m’interrompt (quand je vous dis que ce garçon est aussi soldat que moi une hypogazelle…).
Quelque chose se passe à l’intérieur de nombreux vaisseaux. Les équipages ressentent une grande appréhension… Quelqu’un arrive, heu… plutôt… plusieurs personnes importantes (je ne sais comment les présenter) semblent se « réveiller ».
Tu ne peux pas être plus précis ? Ça ne veut rien dire ! Ils étaient endormis, ce sont les chefs ?
C’est le lieutenant Phil Goud, encore une sacrée tête de pioche. Lui et sa petite amie Adénor Kerichi sont des sortes de rocks-stars de l’Exode avec, à leur actif, plusieurs faits d’armes indéniables et responsables d’un engouement médiatique frisant l’hystérie. C’est probablement à cause d’eux que nous avons été emportés dans une autre dimension pour rencontrer le capitaine Auguste Magellone, légende de la conquête spatiale, survivant là-bas, on ne sait comment, dans le « Positron ».
À l'heure où je vous parle, je ne possède toujours pas les informations quant à ce qui s’est passé sur le Positron, car l’équipe est revenue à l’ultime minute, alors que l’on changeait encore de dimension… pour tomber en plein dans ce guet-apens. Quand je parle « d’équipe », j’entends ces trois-là : Goud, Fabio et Kerichi. Pas un pour rattraper l’autre.
Benkana s’est déjà cassé les dents sur eux par le passé, je suis le suivant, je pensais faire mieux qu’elle… « La prétention, c’est la méconnaissance absolue », dit le proverbe.
Mais je m'égare. Fabio répond alors à Goud :
Désolé, Phil, mais je ne comprends pas moi-même sinon que… que… heu, oui ?
Fabio, vous parlez tout seul, maintenant ? Demandais-je, prêt à accepter n’importe quelle étrangeté de leur part.
… Oui. Bon, ben d’accord, je vais passer le message.
Adénor Kerichi, ancienne tueuse du régime royal, me pose la main sur l’épaule comme si l’on avait gardé les mouettes-moutons ensemble.
« Mon Colonel, Fabio parle mentalement avec quelqu’un d’autre. »
C’est vrai, bien sûr. Je venais de comprendre cela peu de temps avant, mais, que voulez-vous, je n’ai jamais été un admirateur béât des Mentaux et j’ai du mal à m’habituer à des gens qui parlent autrement qu’avec leur bouche. Heureusement, le garçon poursuivit à voix haute :
« Bon, alors, message à tout le monde. Un… ambassadeur d’un rang extrêmement élevé chez nos… nos amis, nous rejoint au spatioport dans quelques instants. Je crois qu’on doit l’y retrouver. »
Invitation courtoise et situation désespérée, comment refuser ? Je ne suis pas capable de vous donner la raison exacte qui poussa le trio à m'accompagner, ni même ce qui leur a épargné une geôle profonde, les fers aux pieds. Toujours est-il que nous nous sommes retrouvés en bout de piste, alors qu’une corvette aux armoiries de cet « empire » se posait à quelques mètres de nous. Carrillo retenait la trentaine de soldats armés jusqu’aux dents qui voulaient transformer l’engin en passoire pour nouilles souriantes, tandis que nous suivions l’ouverture du sas.
Entre nous, je ne m’attendais pas à voir ce tout petit vieux, à peine vêtu d’un pagne sur les hanches, en sortir et descendre douloureusement les marches.
On souffrait pour lui, le pauvre. Ses muscles émaciés laissaient transparaitre ses tendons et ses côtes sous sa peau mate. Il portait une fine moustache grisonnante, rasée à la tondeuse comme ses cheveux et seuls ses grands yeux donnaient l’indice d’un esprit alerte.
Ma mère m’avait emmené voir une communauté d’ascètes durant mon enfance. Ces gens respiraient le calme et la sérénité, même si le moindre microbe représentait pour eux un problème d’une gravité extrême. Ils étaient connus comme des sages, des personnes capables de vivre « au-delà » de notre quotidien et de nous offrir un avis détaché des contraintes matérielles. J’avais été impressionné à l’époque, voulant même devenir l’un d’entre eux… jusqu’à la première journée de jeûne. Quoi qu’il en soit, cet homme me faisait grandement penser à ces gens et, d’un point de vue plus prosaïque, me rassurait quant à l’espoir d’un accord permettant notre survie.
Lorsqu’il mit enfin pied sur le terreplein du spatioport, je m’approchai de lui pour le saluer et lui proposer mon aide. Un de ses gardes s’interposa, la main sur son arme. Inutile de dire que Carrillo dut élever la voix pour éviter un déferlement de balles traçantes. Le petit vieux offrit alors un simple regard, empli de douceur, aux soldats de Ragnvald et tous mirent genou à terre, renonçant à tout tempérament belliqueux. Puis, il s’adressa à moi pour la première fois :
« Vous ne devez pas me toucher, Colonel Arlington. Je suis la représentation divine de l’empire et, en tant que telle, porter la main sur ma personne relève du sacrilège… N’y voyez là aucune offense, plutôt une révérence à suivre envers moi. »
Puis, il prit appui sur l’épaule d’un des gardes agenouillés et observa un à un ceux qui m’accompagnaient. Je demeure certain, encore plus maintenant à la lumière de ce que l’avenir nous a réservé, qu'il s'attarda davantage sur Fabio. Quoi qu’il en soit, le vieil homme se redressa et, presque naturellement, me lança :
Je vous propose de venir parlementer dans notre colonie mère, sur Monte-Circeo. Vos compresseurs dimensionnels sont désactivés, nos corvettes se chargeront du voyage de votre transporteur.
Excusez-moi, Votre Excellence. (J’ignore totalement comment s’adresser à « une représentation divine » alors, dans le doute, j’utilise les termes destinés aux rois) Vous semblez bien informé sur nous, donc vous savez que nous…
Vous nous suivrez parce que vous n’avez pas le choix, Colonel. C’est aussi simple que cela.
Il se retourna et regagna le sas, affrontant laborieusement la pente. Nous aurions échangé le thé que cela eût été pareil. Tout en serrant les dents à chaque marche, il ajouta :
Ne vous inquiétez pas…… j’ai déjà décrété un saufconduit pour votre appareil…… son inviolabilité est désormais assurée.
Je ne suis pas d’accord ! grogna Goud derrière moi.
J’allais ordonner qu’on le mette immédiatement à mort pour éviter l’incident diplomatique, quand Fabio fit quelque chose… j’ignore quoi, mais quelque chose de mental. Ou alors ce fut le petit vieux… ou les deux en même temps. Toujours est-il que le lieutenant leva soudain une main tremblante, en sueur, les yeux inquiets et la bouche ouverte, comme s’il tentait d’apaiser une tempête qui s'abattait sur lui. Sa compagne le soutint d’un bras pour qu’il ne s’écroule pas, tandis que de sa main libre, elle enserra le cou de Fabio. La vivacité de ce geste, digne d’un boa poilu, me laissa pantois : cette femme athlétique restait redoutable.
Le Mental ne réagit pas, s’exprimant cette fois avec les yeux : l’incident était clos, elle pouvait se rassurer.
Pendant ce temps, l’attention du petit vieux était dirigée ailleurs. Je suivis son regard et assistai, un peu gêné il faut l’avouer, à une prière de certains soldats pour célébrer la survie de Goud. Ai-je omis de rappeler qu'un lien incompréhensible s’était établi entre lui, Adénor et la religion des Octotes, sorte de secte prédisant le retour d’un prophète ? Sans doute était-ce un mélange des circonstances de l’Exode, des effets de la Passe de Magellone, de la recherche d’espoir pour l’avenir… et que sais-je encore ? Dans tous les cas, Goud et Kerichi s’étaient retrouvés au centre de prières de plus en plus nombreuses dans la flotte, et nos aventures dimensionnelles n’avaient pas aidé le phénomène à se dissiper.
Très loin de là.
Carrillo avait grommelé quelques commentaires acerbes envers les prieurs pour qu'ils se reprennent. Le petit vieux était retourné dans l’habitacle de son appareil et je dus vite reculer alors que les suspenseurs combattaient la gravité pour prendre leur envol.
La suite fut très proche de ce que l'on a vu tout à l'heure : les corvettes en cercle, la lumière, le passage qui s’ouvre sur l’orbite d’une planète inconnue et notre transporteur, tracté comme une vieille remorque, emmené vers on ne savait où.


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Les génériques de début et de fin de ce chapitre ont été exceptionnellement créés à partir de "Grasslands" de "Ramzoid"
https://soundcloud.com/ramzoid/grasslands-1

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