Red Universe Tome 1 Chapitre 26 Épisode 08 : " condamnation (2)"

«  la première défense peut livrer son ultime plaidoyer », lança la voix synthétique de la première intelligence artificielle.
Depuis presque une heure, à peine, la Princesse Azala, sa garde du corps Melba, ainsi que la parlementaire Ci’chi supportaient le feu roulant d’accusations plus loufoques les unes que les autres. On chargeait leurs dossiers de tout et n’importe quoi : ici, la divulgation d’une quelconque annonce top secrète que la Nalcoēhuale aurait glissé à Azala, là, Melba truffant les corridors d’émetteurs dissimulés. Pour la superbe, on reprocha même à la jeune femme les mauvaises expressions de son traducteur.
Si l’issue n’était pas gravissime, la peine « maximale » ayant été largement et clairement demandée — exigée — par l’accusateur public, le comique de la situation prêterait à rire à gorge déployée. Mais quel était donc le système judiciaire qui ne permettait pas aux avocats de présenter des témoins ou des preuves ? Seuls les éléments à charge étaient montrés à la cour. Enfin, la présidence du tribunal se résumait à trois armoires noires brillantes dont une console clignotait en haut de la face avant. Non seulement ces machines ne faisaient que donner la parole à l’un ou l’autre, mais Azala aurait bien aimé savoir comment elles pouvaient se faire une idée de ce qui leur était livré. Si tant était que ce terme ait un quelconque sens pour elles.
Elle croisa le regard de Melba, à quelques mètres d’elle. Les accusées avaient été séparées pour les empêcher de communiquer entre elles et un brouilleur psychique avait été placé autour de chacune. Elles étaient isolées dans une sorte de cabine de verre renforcé, un unique garde, qui se curait consciencieusement les ongles derrière elles, les surveillait, débonnaire.
L’expression dure de l’ancienne Lakedaímōn (l’ancienne garde royale sur MaterOne) prouvait qu’elle ne se laisserait pas exécuter sans combattre. Azala tenta un sourire réconfortant qui ne combla en rien son amie. De l’autre côté, sur sa droite, Ci’chi souffrait visiblement. On la sentait sur le point de s’évanouir apparemment sous l’influence de quelque drogue (peut-être était-ce le cas, mais la princesse soupçonnait que le brouilleur assigné à la parlementaire était responsable de son état. Sans doute l’avait-on réglé — volontairement ? — trop fort).
Pendant ce temps, l’avocat de Ci’chi terminait sa défense :
... cliente a refusé de reconnaitre les faits qui lui ont été reprochés. Était-elle dans son droit de ne pas cautionner cela ? Oui, fort heureusement, car les libertés des accusés ne sont pas lettre morte. Les preuves que l’on nous a montrés l’accablent et parlent d’elles-mêmes. Par son statut et sa responsabilité de représentante du peuple, mis en suspens le temps du procès, je demande... la clémence. Merci à vous !
la seconde défense peut présenter son ultime plaidoyer, lança alors la seconde intelligence artificielle.
Mes chers confrères ! Mais que vois-je ? Est-ce ainsi que nous traitons les diplomates étrangers qui viennent dialoguer en notre sein ?
Azala leva un sourcil. Le juriste chargé de la défendre n’avait pas fait preuve de véhémence et elle n’attendait guère plus de lui que de celui de Ci’chi. Pourtant, cette entrée en matière surprenait, il poursuivit :
Lorsque nous voyons ce tribunal militaire aux normes uniquement conçues pour la condamnation facile, on s’interroge bien de savoir si l’État n’avait pas à y gagner quelque chose dans l’élimination, oui je prononce ce mot, l’élimination de ma cliente.
Je demande donc également la clémence. Merci à vous !
la troisième défense peut présenter son ultime plaidoyer, déclara le timbre sans âme de la première machine.
Quoi, c’était tout ? La princesse toqua plusieurs fois à la vitre avant que l’avocat ne réalise que sa cliente voulait lui parler. Un peu gêné, il se décida, après quelques secondes de réflexion, à ouvrir une petite trappe destinée aux discussions de la défense. La voix du troisième ténor du barreau couvrait quelques-unes de leurs paroles :
Vous désirez ?
... désarmer, voir tuer à mains nues n’était pas à proprement parler une preuve de méchanceté...
Navré de vous déranger et toutes mes félicitations pour votre plaidoyer tout en grâce et en finesse, commença la princesse de sa meilleure hypocrisie. Je voulais vous demander... avez-vous déjà gagné un procès ?
... mais que l’abus qu’en a fait ma cliente devrait effectivement être puni...
Moi ? Mais pourquoi ? Je ne suis pas payé pour gagner, mais pour proposer de beaux discours de fin. Je trouve aussi que celui que je viens de prononcer était plutôt bien.
Heu... si c’est tout, je vais me mettre en place pour le verdict. C’est un moment important où les caméras cadrent bien sur les avocats.
M... merci, mon brave. Je comprends parfaitement, je vous souhaite un bon… verdict, donc.
Ah, mon collègue a terminé. Merci à vous également ! dit-il en refermant prestement la trappe.
... donc nous n’accepterons pas la peine de mort sans protestations. Merci à vous !
Azala regarda les trois ordinateurs qui clignotaient frénétiquement. Comment pouvait-on être certain de l’impartialité de ces juges ? D’un autre côté, vu ce qui leur avait été présenté et si elles s’en tenaient uniquement à cela, la cause devait être entendue. Finalement, des règles de droit transgressif et des machines sans âme pouvaient parfaitement fournir un résultat très convenable pour toute institution désireuse de condamner facilement sans être accusée de fraude.
« Article sept, alinéa quatre du Code pénal... révision A » hurla soudain Ci’chi.
Azala sursauta. Dans le silence qui précédait la sentence des ordinateurs, la voix tonitruante, certainement doublée d’une impulsion psychique qu’on pouvait imaginer contournant le brouilleur, surprit tout le monde. Même les juges semblait-il, car le troisième donna de son timbre monocorde :
vous faites appel à l’ancienne loi relative aux retours sur enquête ?
Cet article a été retiré, poursuivit la première intelligence artificielle. Vous n’y êtes pas autorisée.
Aussi étrange que cela paraisse, Ci’chi sourit et lança sereinement, toujours d’une voix tonnante :
Sauf que la procédure actuelle a failli concernant l’article trente-quatre, paragraphe six, alinéa douze : « Aucun document lié à l’accusation ne devra être présenté à un inculpé hors de l’enceinte du tribunal ». La députée Loxa m’a pourtant projeté l’hologramme d’un texte listant les griefs qui me sont reprochés, mes souvenirs sont à la disposition des greffiers.
Or, comme il est d’usage en référence à la jurisprudence du troisième cycle, dans l’arrêté du soixante-quatrième mois, si le nouveau Code pénal faillit, il est possible de revenir au précédent s’il ne contient pas les mêmes omissions.
La parlementaire Loxa devra répondre de ses actes devant la justice. Cela ne compromet pas le Code pénal actuel.
Loxa préside au comité de salut public, contra Ci’chi, certaine d’elle-même. Elle se retrouve donc membre de la juridiction suprême... vous ne pouvez appeler à comparaitre votre chef, mesdames.
Azala n’en revenait pas. Malgré sa méconnaissance du système judiciaire nalcoēhual, elle comprenait parfaitement que la vieille députée, visiblement férue de textes de loi, avait laissé le procès se dérouler pour apaiser leurs ennemis et mieux les surprendre à la dernière minute. Il suffisait de constater le retour précipité de l’accusateur public, parti quelques secondes se chercher une boisson chaude. L’imbécile venait de briser sa carrière.
La seconde intelligence artificielle reprit la parole :
la démonstration est exacte et la preuve est faite. Ce tribunal se réinitialise sur la base du Code pénal A. L’accusée Ci’chi a activé l’article sept, alinéa quatre. Prenez-vous l’ensemble des accusations à votre seule charge ?
Oui, répondit-elle sans faillir.
Puis elle se tourna vers Azala. Au travers des deux vitres, cette dernière lut distinctement les vieilles lèvres bleues prononcer un...
...« Bonne chance » dans la langue commune de l’humanité.
  la peine par neutralisation dans le vide spatial est requise et appliquée immédiatement à l’encontre de la prévenue Ci’chi, poursuivit la seconde intelligence artificielle.
Plusieurs accroches sautèrent à la base de la cabine de la députée et elle s’enfonça en un souffle dans les profondeurs du tribunal. L’ouverture se scella et tout fut terminé. Posément, sans une once de sentiment pour celle qu’elle venait d’envoyer à la mort, la machine poursuivit :
  Le signal de destruction a été reçu. La condamnée Ci’chi est décédée ce dix-huitième mois du cinquième cycle. La peine des prévenues humaines Azala Lanik Magnam V et Melba est désormais commuée en cryogénisation jusqu’à ce que l’histoire les juge d’ici douze cycles. 
Le mot de la fin fut pour la troisième :
la justice est rendue et la loi fut appliquée. Paix et prospérité. Déconnexion des intelligences artificielles de délibération 
Et les trois cadrans lumineux s’éteignirent alors que plusieurs gardes entrèrent et se placèrent à l’ouverture des cabines d’Azala et de Melba. Cette dernière ne put que suivre rageusement celle qu’elle avait juré de protéger.


SOUTENEZ REDUNIVERSE ! - Prod: podshows, Réa: Raoulito, Relecture: JMJ, iGerard, Acteurs : Rafa96: narration, Fallen Swallow (Ci'chi), Elioza(azala), Bohort (avocat ci'chi & IA1), Lorendil (Avocat Azala & IA2), Guilitane (avoca Mela & IA3) Derush/montage: Coles/MTIce, Musiques: VG, Ian, Cleptoporte

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