Red Universe Tome 1 Chapitre 27 Épisode 06  : "Talbot"

Plusieurs ouvertures se dégagèrent à la base de l’immense croiseur qui s’approchait de la brume en surface de TB-01 et de puissants compensateurs de gravité s’activèrent alors, repoussant sans ménagement les nuages de Lithium. À une poignée de kilomètres, faisait face la cité administrative et minière de Kyuang, large métropole flottante au milieu d’une nuée infinie. Le dernier appareil de l’armada mentale encore en activité dans cette partie de l’univers venait troubler la quiétude toute relative dans ce centre urbain de la Nébuleuse de Talbot, haut lieu de la production si cruciale du Lithium.
De nombreux badauds s’amassaient le long des baies vitrées géantes de la ville pour assister à ce spectacle. Les gros cargos transportant le gaz liquéfié restaient invariablement hors de l’atmosphère, pour des raisons pratiques comme de sureté, et même les convois de voyageurs opéraient par rotations de navettes depuis l’orbite spatiale. Mais là, le ministre de la Sécurité de l’humanité, Ralato Ouli, ne voulait pas prendre de pincettes. Un État montrait toujours plus facilement ses muscles quand il était affaibli et c’était le cas en ce moment ; entre la terrible crise économique qui frappait la civilisation et l’instabilité psychologique (qui finissait par se savoir malgré ses efforts) de son Chancelier suprême, seul Ralato tenait les rênes de ce qui fonctionnait encore. Il ordonna au commandant de réaliser un accostage directement contre la ville et d’ouvrir le large sas extérieur. Ce fut donc accompagné d’une petite poignée d’agents de sécurité mentaux, en uniformes tirés à quatre épingles, qu’il effectuât ses premiers pas sur la cité souriante.
De nombreux officiels attendaient sur le promontoire, tous porteurs d’un indispensable casque respiratoire. Si la planète était habitable d’un point de vue atmosphérique ou gravité, l’organisme humain ne pouvait survivre plus de quelques secondes à son air saturé de gaz. Peu importait, il suffisait alors d’un équipement simple et d’une paire de gants souples pour se déplacer hors de l’enceinte protectrice de la ville, comme pour les travailleurs des raffineries auxiliaires qui recouvraient TB-01, par exemple.
Ralato contempla quelques secondes la mer de nuages au-dessus de laquelle flottait la station. Celle-ci touchait l’horizon de son duvet cotonneux, tandis que les couleurs fauves du ciel se mélangeaient au gré de la nébuleuse vers laquelle la rotation de la planète l’emportait. Le lieu offrait un opéra féérique aux yeux de l’observateur naïf, pourtant c’était ici que lui et l’agent Stuffy avaient violemment affronté le redoutable maitre mental Monsieur Heir et ses élèves Hou Niáo et May Rui Yan. Une cascade d’évènement s’enchainèrent à la suite de cette bataille, aboutissant à la chute du même Monsieur Heir et à la disparition du Stuffy d'origine. C’était durant ces évènements que les hallucinations de Ralato concernant des petits objets translucides avaient commencé et cela ne s’était jamais vraiment arrêté. Ce n’était pas permanent, plutôt... récurrent.
Stuffy s’était préalablement dupliqué quatre fois, dans des corps du professeur QuartMac, en prévision de leur combat final avec le maitre mental. Il offrit ainsi à Ralato l’aide précieuse de collaborateurs loyaux qui s’empressèrent de remplacer Heir chez les Souriants et les Mutualistes ainsi que Ralato — devenu ministre — chez les Forces mentales.
Aux dernières nouvelles, le terrible attentat de « la rue du Mur » était officiellement attribué aux Mutualistes (le doute n’était de toute façon pas vraiment permis) ; lors de sa dernière communication, l’ultime Stuffy officiant au ministère avait garanti qu’il allait s’en occuper personnellement. Pas de nouvelles depuis, mais Ralato avait confiance et se préparait d’abord à sa rencontre prochaine avec le Stuffy à la tête des Souriants. Des rapports inquiétants exprimaient des soupçons quant à sa loyauté envers ses anciens amis et le compte rendu du Professeur QuartMac, évoquant les modifications possibles de la psyché des chimères non matures (comme celle des Stuffy), n’arrangeait rien. En résumé, Ralato ne savait pas à quoi s’attendre, sinon à des relations bien différentes avec ce Stuffy-là, en comparaison de sa précédente venue en ces lieux.
Une fois les salutations d’usage accomplies, un convoi de plusieurs véhicules aux vitres teintées conduisit le ministre à la mairie pour une première réunion de travail... parfaitement simulée. Car, dès son entrée dans le bâtiment, on lui présenta une discrète sortie où patientait un second transport en provenance du croiseur mental. À ce jeu de passepasse, Ralato se retrouva au sous-sol d’une résidence luxueuse, à l’extrémité nord de la cité. Ce fut face à une imposante porte de bois rouge que cessa son périple. Elle était incrustée de moulures et de bas reliefs racontant certaines scènes épiques de la colonisation de Talbot et des symboles souriants, très abstraits pour Ralato, en ponctuaient les angles. Alors qu’il cherchait un quelconque carillon, une voix frêle et toussotant monta de derrière le battant, l’invitant à entrer.
Ralato s’exécuta.
Si ses informations étaient exactes, et elles l’étaient, il s’agissait d’une des salles de réunion des Triades, ces redoutables organisations mafieuses qui régissaient l’économie souterraine (et pas uniquement) de la culture souriante. Ambiance tamisée et délicates tentures, les tons rouges et ocres dominaient entre ces quatre murs soutenus par les massives statues des divinités ancestrales représentant une tortue-serpent, un tigre-loup, un chauve-phénix et un dragon. Au centre de la pièce, sous un cône de lumière crue, en tenue traditionnelle, la chimère de QuartMac (Stuffy Souriant) invitait les nouveaux venus à s’assoir à ses côtés.
« Ralato, ministre ! Savoir certaines choses ne signifie pas en prendre une complète conscience : te voir en chair et en os dans cette nouvelle fonction me ravit, entonna avec autant de joie possible le Stuffy souriant. Excuse ma forme quelque peu décrépie, viens donc dans mes bras, espèce de génie  ! »
Dubitatif, le chef des Mentaux s’approcha, sous l’œil inquiet de ses gardes, et s’agenouilla en enlaçant le clone de son vieil ami.
C’est bon de te revoir aussi, vieille branche. Laisse-moi te regarder... ouais, on ne peut pas dire que ton corps soit plus solide que les autres. Tu comptes en changer ?
C’est en effet prévu. QuartMac m’avait confié les graines d’une chimère de Stuffy toute neuve. Il arrivera bientôt à maturité et je pourrais gambader comme un jeune loup au printemps !
Il ajouta sur le ton de la confidence :
Je peux d’ailleurs t’assurer que certaines dames du cru chauffent leur literie avec impatience, hé hé hé  !
Ralato sourit de bon cœur à l’anecdote. C’était bien l’esprit du Stuffy qu’il avait connu, avec cependant une diction plus soutenue et un quelque chose de chantant dans la voix. Peut-être que tous ces rapports et ces théories échafaudées durant son voyage n’étaient qu’inquiétudes mal placées ?
Raconte-moi donc de vive voix tes tribulations souriantes, lança Ralato, en indiquant à ses gardes de se faire plus discrets. Comment s’est passée l’intégration ?
Mieux que très bien, répondit l’autre, amusé. Il leva la main en un signe à destination de ses domestiques et deux jeunes femmes s’empressèrent de servir une collation. Je représente Poféus, celui qui a tué l’ancien chef, donc je suis à mon tour le chef des Triades. Un peu tribal, mais ce fut très efficace dans notre cas. Je te conseille le thé au jasmin, c’est une merveille.
Merci. Et, dis-moi, que penses-tu de l’attentat mutualiste de la Rue du Mur ? demanda Ralato en soulevant sa tasse brulante.
Bien évidemment, sous une apparente décontraction, lui et ses hommes étaient tendus comme des arcs. La question était posée dès le début de la conversation et les réactions de leur hôte seraient scrutées à la loupe. Celui-ci reposa la tasse qu’il venait pourtant de prendre, cachant presque l’expression de son visage dans l’ombre.
Je... je ne comprends simplement pas. Jamais je n’aurais imaginé un tel acte, en tout cas pas de la part... de moi-même !
Il avait pratiquement crié cette dernière phrase, dissimulé comme pour couvrir une honte, qui n’avait par ailleurs pas de raison d’être.
Rassure-moi, Stuffy... notre Stuffy, celui resté avec toi, il est... parti le voir ? poursuivit-il. On a des nouvelles ?
Aucune, non, répondit posément le ministre en trempant le bout de ses lèvres dans son breuvage fumant. Je te tiendrais au courant. Sinon, autre petite question, en passant...
Il reposa sa tasse et sembla s’intéresser aux serviteurs qui s’affairaient derrière l’étroit passage obscur entre les tentures :
D’après nos analyses, la crise économique a été amplifiée par le retrait d’une quantité impressionnante d’avoirs et de participations de plusieurs filiales des banques souriantes. Je me suis demandé si tu en savais quelque chose et si tu pouvais voir à les réinjecter dans le système financier ? Cela représente un chiffre avec de nombreux zéros... une jolie somme, donc.
Oui, j’en suis conscient. C’est sous mon ordre direct que cela s’est produit, répondit l’autre en se redressant comme si cette phrase en elle-même lui permettait de regagner de sa dignité perdue.
Il s’agissait de faire exactement ce que tu viens de dire : mettre cet argent à l’abri pour le réinvestir ensuite.
Moins de quatre secondes après l’explosion des bombes à antimatières ? insista Ralato sèchement.
Cette fois, la tension devenait quasiment palpable dans la pièce alors que les statues des immobiles dieux souriants riaient sous les jeux de lumière.
Doctement, ce fut le Stuffy souriant qui brisa le silence :
Paix, Ralato. Je n’ai trahi personne. J’ai eu... on dira que les Souriants ont eu une information moins de vingt minutes avant que cela ne se produise. J’ai donc pris la décision de préparer « le après ». Voilà, c’est aussi simple que cela.
Et tu n’as pas pensé à nous prévenir ? insista Ralato, toujours aussi inquiet, même si la pression amorçait une forme de décrue.
C’est Stuffy qui m’a répondu, il m’a alors précisé qu’il allait envoyer une équipe sur place. Mais cela ne fut pas assez rapide... je lui accorde qu’il ne restait que dix minutes, c’était peu pour stopper une mécanique mutualiste.
Ralato demeura silencieux. Il confirmerait cette version avec le Stuffy du ministère dès qu’il reprendrait contact. Pour l’instant, à par offrir à un clone de son ancien ami le bénéfice du doute, il ne voyait pas quoi faire d’autre. Celui-ci reprit d’ailleurs la parole.
Quitte à sauter de la chevrette-limace à la croasouris, mon message pour t’inviter ici datait de bien avant cette histoire. Et, aussi terrible soit celle-ci, ce que j’ai à te montrer est... encore plus impressionnant. Cela relève des fondamentaux de notre civilisation.
À ce point-là ?
Regarde...
Il appuya sur un bouton dissimulé dans sa manche et un hologramme de rocher géant s’afficha en représentation tridimensionnelle devant eux. De multiples galeries en sillonnaient l’intérieur de part en part.
Stuffy souriant ne chercha pas à ménager son effet et déclara sans ambages à Ralato :
« Nos ancêtres ont volé la terre d’une ancienne population extraterrestre et en voici la preuve irréfutable. »


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