Red Universe Tome 1 Chapitre 27 Épisode 11 : « Piège (5) »
Plusieurs tremblements secouèrent le grand immeuble au fond duquel se terrait le cœur des Triades souriantes, la tête bien mal nommée « Le triangle » en référence à la période passée où trois anciens dirigeaient la tentaculaire organisation.
Stuffy patientait, assis en tailleur sur un épais tapis au centre de la pièce où son prédécesseur avait rencontré Ralato. Tout autour de lui, des hommes aux visages fermés campaient, les doigts bien serrés sur leurs mitrailleuses. Quelques étages au-dessus, Ralato et des troupes de choc des Forces mentales avançaient inexorablement jusqu’à lui, malgré les pièges, les défenses ou les gardes armés lourdement. Eussent-ils reçu des renforts d’hypothétiques soldats supplémentaires que la vitesse de cette progression laissait Stuffy dubitatif. C’était bien trop rapide.
Le chef des Triades n’était pas stupide au point de croire en ses chances de résister longtemps. Dès que le croiseur était réapparu dans le ciel de TB01, il avait compris que son grand rêve de Conquête souriante du pouvoir était sérieusement compromis.
Nouveaux tremblements, plus proches... quelques bruits de tirs percèrent au travers des parois et de l’imposante porte.
Que s’était-il donc passé là-bas, dans la chaussetrappe destinée à supprimer son dangereux ancien ami ? Le trou noir ne s’était peut-être pas déclenché ? Stuffy-Quartmac avait-il failli en quelque point du programme ? Un imprévu ? Une chose demeurait certaine : la navette souriante posée à l’intérieur du croiseur avait bien fait exploser sa charge d’antimatière, un signal codé leur était parvenu en multitransmission. Alors par quel miracle ce même croiseur pouvait-il orbiter tranquillement ? Sans nouvelles de son prédécesseur, la nouvelle chimère de Stuffy avait choisi l’attaque dès qu’un détachement s’était élancé vers la planète.
Il soupira silencieusement, supportant l’attente dans une attitude toute Souriante. Ce modèle de clone était cette fois identique à l’agent original, avant que son corps ne soit détruit par l’arrivée de Fabio dans la base Mutualiste des Appalaches. Sans en avoir poussé les capacités dans ses retranchements, les différences avec la version fatiguée de QuartMac ne se comptaient plus.
Plusieurs crépitements, on approchait du dernier couloir menant à cette salle.
Stuffy se releva, dégainant ses deux révolvers et, surtout, il sortit son sabre traditionnel du fourreau sculpté et le pointa vers les épais battants de l’entrée. Les nombreux fidèles autour de lui reçurent parfaitement le signal, armèrent le chien de leurs mitrailleuses et se précipitèrent à l’extérieur ; telle la garde royale des Lakedaímōns (et sans doute d’autres corps d’élite avant eux) ils allaient offrir leur vie pour défendre celle de leur chef.
« Bonne chance, messieurs, tâchez de tenir quelques minutes au moins... »
murmura simplement Stuffy alors que le dernier combattant claquait la porte derrière lui. Du bout du pied, il écarta un pan du tapis et appuya sur le contacteur dissimulé dans le sol. Un escalier s’enfonçant vers les profondeurs de Kyuang apparut et il s’empressa de l’emprunter. Ce ne seraient pas les multiples blindages qui se fermèrent derrière lui qui ralentiraient longtemps Ralato et ses hommes, mais chaque petit instant de gagné lui permettrait de s’échapper. Malgré le moment plutôt dramatique, il ne put s’empêcher d’apprécier son nouveau corps. Svelte, musclé, chaque foulée lui faisait dévaler les marches par groupe de quatre, sans essoufflement particulier, tandis que ses yeux portaient si loin qu’il aperçut la sortie plusieurs minutes avant de l’atteindre. L’empreinte palmaire de cette chimère avait heureusement été rapidement encodée dans les systèmes centralisés des Triades, autorisant à Stuffy l’ouverture de tout ce qui appartenait plus ou moins à l’organisation et à ses obligés. Il pénétra dans un sas qui se pressurisa à la suite de son passage. Un second sas apparut alors devant lui, offrant au regard du visiteur une série d’épais fauteuils scellés et rangés en cercle, dans une petite pièce de quelques mètres de diamètre. Au milieu des sièges, un discret promontoire présentait quelques commandes que Stuffy s’empressa d’activer. Il s’installa dans un des fauteuils et agrafa sa ceinture, pendant qu’un compte à rebours rapide s’égrenait en chiffres holographiques au-dessus de sa tête. Le décrochage fut violent et suivi de l’accélération digne d’un avion de chasse tandis que la capsule de secours — réservée aux cadres supérieurs de l’organisation — s’enfonçait vers le centre de la géante gazeuse.
Vu de MaterOne, TB01 ne représentait qu’un corps céleste aux réserves quasi inépuisables de Lithium. Partant de là, les rochers, cités/usines ou raffineries flottantes n’étaient que des ilots naviguant au gré de l’humeur des marées de gaz liquéfié.
Quelle vision étriquée de la réalité !
Sous le manteau interne, à près de dix-mille kilomètres de la surface, se trouvait le cœur bien solide de la planète, un noyau fait de pierre et de métal dans lequel des générations de Souriants avaient aménagé une base spatiodimensionnelle. L’Armée royale avait expérimenté cette technologie il y avait quelques siècles, mais, ayant l’univers connu sans fin à disposition, le projet de « base Transitionnelle » (tel qu’on le nommait alors) avait été abandonné. L’idée, et quelques savants à l’origine des recherches, avaient été récupérés par les Triades et poursuivis. Une sphère de cinquante kilomètres de diamètre avait été percée dans le noyau, au centre de laquelle un vaisseau modeste, mais équipé des Compresseurs dimensionnels les plus récents, patientait, le réservoir plein. Comme il était impossible de suivre un appareil en Transition, sauf à y avoir installé un système de localisation multispatial, l’armée pourrait bien mettre sous embargo toute la planète si cela lui chantait, Stuffy naviguerait déjà loin.
La décélération fut aussi brutale de l’accélération initiale, rappelant à Stuffy ses séances de pilotage à bord des puissants simulateurs. Qu’à cela ne tienne, son nouveau corps résista sans grandes difficultés et les verrous de freinage fumaient encore qu’il bondissait vers la sortie. Quelques mètres plus tard, le poste de contrôle de la petite station s’alluma automatiquement et Stuffy programma son vol. Un dernier escalier adjacent donnait sur l’ouverture extérieure du croiseur léger qui serait son lieu de vie pour... une période indéterminée.
« Ordinateur, active la séquence de Transition. Départ immédiat. »
commanda-t-il dès ses premiers pas à l’intérieur de l’engin.
Plusieurs lumières clignotèrent, confirmant que les ordres avaient bien été pris en compte. Stuffy inspira, écoutant le silence qui s’effaçait doucement derrière les ronronnements profonds du Compresseur, puis s’affala dans un des fauteuils du salon principal en fermant les paupières, la tête reposée en arrière. Le tout automatique présentait bien des avantages...
« Question de point de vue » fit la voix de Ralato.
Étonnamment, Stuffy ne fut pas plus stupéfait que cela. Il se surprit même à rire avant de regarder enfin son vis à vis. Le ministre Ralato se tenait devant lui, installé confortablement, une tasse de thé fumante en main. Il souffla doucement dessus pour refroidir le breuvage, puis poursuivit :
Stuffy-Quartmac m’avait fait gouter à ce merveilleux thé au Jasmin et je dois bien t’avouer en être tombé amoureux. Il reste encore de l’eau chaude, je pense, si tu es intéressé...
Ralato, Ralato, Ralato... je... je ne sais que dire. Bravo. Simplement bravo ! Comment es-tu arrivé là ? Et que fait-on, maintenant ?
Première question : ça me regarde, seconde question : tu vas être jugé et exécuté pour trahison et, bien sûr, je prendrais personnellement la tête des Triades en tant que ton successeur. Mhmm... ce thé !
Donc j’avais raison depuis le début. Tu en es finalement venu à supprimer toute opposition ? Fini le grand cinéma avec les méchants Mutualistes, les Souriants bien sages et le gouvernement qui travaille ? Tu veux le pouvoir pour toi tout seul ?
Qu’entends-tu par là ? demanda Ralato, un rien surpris.
Je suis l’ultime Stuffy vivant dans l’univers connu, tous les autres sont morts (au cas où tu l’ignorerais, tu es maintenant au courant). La crise économique a terrassé presque tous les acteurs extérieurs ou anciennes fortunes et les coffres des banques Souriantes offriront de quoi modeler une société à l’image de celui ou ceux qui le désireront. Poféus est en train de perdre totalement la raison et...
Il leva le doigt, montrant le plafond :
Tu as même le dernier croiseur de la Flotte mentale à disposition. Après moi, tu deviendras le seul maitre à bord... pour toute l’humanité !
Ralato ne répondit pas. Il se contenta de finir d’un trait sa tasse et la reposa... au travers de la petite tablette sur le côté. Stuffy comprit d’un coup :
Tu n’es PAS ici !
Bien sûr que non, pourquoi donc ? Je suis dans ta tête en ce moment et ce thé, je le déguste depuis ta cuisine personnelle, la pièce à droite après les tentures de ta salle de réunion aux quatre dieux.
Ce ne sont pas de simples dieux et tu ne peux atteindre mon esprit à cette distance. Mes barrières sont levées en plus et je ne... Aaaaargh ! hurla soudain Stuffy, en se prenant le crâne entre les mains.
Figure-toi que je ne t’ai pas quitté une seconde depuis ton attaque au missile contre ma navette, précisa Ralato, une expression plus dure malgré les souffrances de son ancien ami. Si tu savais combien nous étions loin de connaitre tous les raffinements de notre pouvoir, avec nos dogmes aux œillères bien fermées par une éducation trop rigoureuse. Je comprends mieux Fabio, maintenant... que je vois notre monde comme lui.
Stuffy, les larmes aux yeux et les jambes repliées sous son siège leva sur Ralato un regard de pierre :
C... c’est impos... possible ! Tu... n’es... pas... F...FABIO !
Certes, je suis Ralato, répondit l’autre simplement en se relevant. Mais j’ai hérité de ses pouvoirs et je t’informe de plusieurs choses. Un, les dernières chimères de QuartMac augmentent la puissance psychique, je le sens bien à travers toi et, deux, je vais te laisser partir.
La douleur dans le crâne de Stuffy s’effaça tout aussi brusquement qu’elle était arrivée. Celui-ci se redressa, dubitatif : quel plan le ministre avait-il en tête ? Ralato poursuivit.
Est-ce que tu te rends compte que je retiens ton Compresseur dimensionnel depuis le début de notre discussion ? C’est proprement hallucinant tout ce qu’il m’est permis de faire, je t’assure !
Ce fut un plaisir. Adieu, toi qui fut mon ami. Tu sais, la bouille enfarinée qui me regarde en ce moment me manquera.
Tu... tu me laisses partir, alors ?
Bien sûr, je viens de te le dire, insista Ralato, un rien agacé que son ancien ami doute ainsi de lui. Ha oui, pour ta dernière remarque. Je ne cherche en rien le pouvoir, mais j’ai eu récemment une sorte de... on dira « prédiction ». Quelque chose arrive qui va nécessiter une vraie rigueur du côté de notre humanité. Et si je dois, pour la combattre, mettre au pas tout le monde vivant...
Comme effacé par une brise légère, l’image du ministre se volatilisa, laissant juste l’écho de sa voix terminer la phrase en suspens :
« ... je le ferais. »
Le ronronnement du Compresseur monta alors brusquement et Stuffy sentit le passage de son vaisseau en Transition. Il ne comprenait pas pourquoi Ralato le laissait partir. Ni même comment il avait réussi à l’atteindre, malgré la distance, voire à... retenir le moteur dimensionnel ? Les pouvoirs de Fabio, disait-il ?
Il eut soudain une intuition. D’un bon, il se précipita au poste de pilotage. Les systèmes automatiques indiquaient une arrivée imminente, bien plus rapide que le voyage programmé par Stuffy. Lorsque son petit croiseur réapparut dans l’univers normal, les doutes devinrent certitude.
Face à Stuffy, l’immense trou noir, créé quelques heures plus tôt, écrasait de sa majesté un malström de météorites et de débris en tous genres dans lequel son appareil fut vite emporté. Juste avant d’être broyé entre deux astéroïdes géants, Stuffy rit une dernière fois à gorge déployée, puisse cela atteindre les oreilles de son ancien ami.
Sur TB01, le ministre sortit de la cuisine et lança à ses hommes le signal du départ. Tout en remontant à la surface de la cité, il murmura entre ses dents :
« Oui. Je t’ai entendu, Stuffy. »
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