Red Universe Tome 1 Chapitre 27 Épisode 12 : « Chilico en guerre »

Planète Cuitliē, centre administratif du système de Chilico.

La raffinerie principale OLMEK1 était une des quatre usines transformant le minerai brut en matériau de fabrication des vaisseaux spatiaux nalcoēhuals. Pour des raisons de bombardement météorique quotidien, l’unique cité de Cuitliē se retrouvait profondément enfouie dans le manteau de la planète et OLMEK1 suivait la même règle. Située plus au sud, autour de l’équateur, elle ne laissait surgir à la surface que le minimum nécessaire, dont une piste se terminant par un monte-charge géant.
Ce fut celui-ci qui vola en éclat lorsque les Libérateurs de Chilico pénétrèrent dans le complexe. Les charges ouvrirent une brèche par laquelle une vingtaine de rebelles se jetèrent bardés de suspenseurs antigravité et de grenades psychoéblouissantes. Le second sas en profondeur subit le même outrage, dépressurisant le hangar primaire, ce qui asphyxia immédiatement les gardes ou ouvriers pas assez réactifs.
Xopilat’l se laissa glisser lentement au travers du monte-charge extérieur, paralyseurs en mode létal dans chaque main et scaphandre bien ajusté. Derrière lui, Telma’k son fidèle second, lui aussi armé, mais emportant le pad qui les liait aux commandos en tête de l’attaque. Il termina les derniers mètres accroché aux barreaux incurvés de l’échelle de secours. Ce n’est qu’une fois les pieds foulant le sol de l’usine qu’il balaya du regard les premières victimes de sa guerre de libération, murmurant à leur encontre une prière muette.
Demande à quelques partisans de les aligner et de les recouvrir de quelque chose. Quand les miliciens vont arriver, je ne veux pas qu’ils pensent à nous comme à des barbares.
Je donne les ordres, répondit simplement Telma’k qui se retourna vers deux rebelles en arrière.
D’un mouvement du bras, il engloba la scène et les deux Nalcoēhuals se mirent à l’ouvrage en récupérant plusieurs bâches entassées dans un réduit d’entretien.
La raffinerie OLMEK1 s’étendait sur de nombreux kilomètres de galeries, couloirs et autres salles de travail, mais finalement seules deux parties importaient : les fours de craquage et le central de coordination des systèmes. C’est vers ce dernier que se dirigea le président en activité de la République cachée de Chilico. Les casques des deux hommes avaient été retirés une fois entrés en zone pressurisée, mais leur progression n’en était pas plus rapide. Si le chemin avait déjà été sécurisé et balisé par la première section des commandos, Xopilat’l restait extrêmement prudent dans cette raffinerie connue pour être sous haute surveillance. Il considérait chaque croisement comme un redoutable piège, roulant en boule pour pointer ses paralyseurs dans le vide, écoutant le silence à la recherche du moindre bruit. Dans la plupart des cas, ce fut en vain : entre les corridors condamnés par explosifs ou ceux aux sas soudés, chaque zone potentiellement à risque avait préalablement été assurée. Sauf une : une grille de support de câbles où s’était glissé un garde plus malin que les autres. Il tomba sur le président dès que celui-ci fut à sa portée et le frappa à répétition aussi violemment que possible avec sa matraque dans l’espoir de lui faire lâcher ses paralyseurs. Mais l’ancien mineur avait la cuirasse robuste : une fois la surprise passée, il para le dernier coup du milicien et lui expédia en plein torse un de ses coups de poings qui l’avait rendu célèbre dans sa jeunesse. L’autre fut projeté deux mètres en arrière, le souffle coupé. Il n’eut jamais l’occasion de le retrouver : un couteau lui transperça le cœur par derrière, œuvre de Telma’k qui attendait le bon moment pour intervenir, tapi dans l’ombre.
Xopilat’l remercia son ami d’un hochement de tête silencieux, mais il ne put retenir un grognement de douleur : ses os n’étaient plus aussi solides qu’auparavant et son avant-bras avait visiblement souffert. Son second le balaya d’un petit scannographe et confirma :
Fracture en deux points. Il ne vous a pas raté, dites donc.
Je tiendrais le temps nécessaire... on mettra une attelle, une fois arrivés.
Laissez-moi passer devant, ajouta l’autre en échangeant son couteau contre les paralyseurs du président. Nous ne sommes plus très loin.
Une décille plus tard, ils pénétrèrent sans encombre dans le central, découvrant avec inquiétude plusieurs cadavres de gardes et de techniciens qui avaient eu l’idée saugrenue de résister. Xopilat’l jeta un œil mauvais à ses commandos trop zélés, mais il se retint de leur faire la morale : entre l’oppression de l’occupant et le stress de l’attaque, ces nerfs de ces Nalcoēhuals étaient à fleur de peau. Comme les miliciens d’ailleurs, la « rencontre malheureuse » du corridor en étant un exemple flagrant. Tandis que Telma’k offrait un semblant de sépulture à ceux tombés, on regroupa les opérateurs au centre de la pièce.
Certains tremblèrent quand le président s’approcha d’eux, d’autres le toisèrent. Xopilat’l soutint tous les regards, cherchant à lire l’histoire de chacun sur les visages plus ou moins tournés vers lui. On avait ici des natifs de Chilico — peu, les envahisseurs de Ti'ltchiti ne leur faisant pas confiance — et beaucoup d’ouvriers nalcoēhuals gagnant leur vie dans un des métiers les mieux rémunérés de la zone de Khabit : producteur de minerais détaché sur Chilico. Évidemment, cela n’était pas valable pour les habitants de Chilico qui demeuraient, eux, sous-payés. Leur destinée à tous se retrouvait maintenant entre ses mains et les fusils-paralyseurs des commandos. Xopilat’l les rassura immédiatement, le sang ayant déjà bien trop coulé :

« Nous ne sommes pas venus tuer, ni les gardes, ni les travailleurs que vous êtes. Retournez à vos fonctions habituelles et n’essayez pas de vous opposer à nous, tout sera très vite terminé. Vous avez la parole du Président de la République cachée de Chilico que vous ressortirez tous libres et en vie d’ici quelques heures. Allez-y, maintenant. »
Et, sous l’insistance des commandos les entourant, tous repartirent à leur poste, une expression interrogatrice dépeinte sur leur visage.
Moins de cinq décilles s’écoulèrent avant que les visualiseurs ne montrent les soldats en scapahandre de l’armée régulière investir simultanément plusieurs entrées d’OLMEK1. Une demande de contact psychique fut transmise par l’amplificateur secondaire de la salle et Xopilat’l y répondit posément.
Je suis No’ork Kelm’tek, gouverneur de Cuitliē et membre du directoire de Chilico. Je veux parler avec un responsable.
Xopilat’l Aktar, Président de la République cachée de Chilico, je suis la plus haute autorité ici. Bien le bonjour, Gouverneur. Je vous propose de nous rencontrer dans le hangar de secours, venez avec quelques gardes si cela vous rassure, je serais seul de mon côté. Nous pourrons discuter, disons dans... deux déciles ?
Le présid... heu, oui. Soyez à l’heure !
La communication psychique disparue et Telma’k croisa le regard de son chef. Tous deux connaissaient le plan et échangèrent une poignée de main avant que Xopilat’l se s’éloigne par une petite porte de côté, accompagné d’un des commandos.
Le chemin pour le hangar secondaire se révéla plus rapide que celui depuis le principal, pour la simple raison qu’il était plus court et jamais fréquenté. Le rebelle protégeant Xopilat’l l’abandonna à quelques mètres du dernier sas, saluant son président une ultime fois alors que celui-ci ouvrait le panneau.
Au milieu du dock, quatre Nalcoēhuals armés jusqu’aux dents entouraient un fonctionnaire joufflu, plutôt tassé sur lui-même, au goitre disproportionné. Ses petits yeux aux larges iris complétaient, chez celui qui se présenta comme le gouverneur, l’allure d’un bébé Zlabot. Le président connaissait bien sûr cet envoyé spécial de Ti’ltchiti qui avait comme mission principale de maintenir la paix dans l’unique région productrice de « pierre qui chante ». De trop nombreux amis croupissaient dans les geôles à cause de sa politique répressive.
Président Xopilat’l... murmura le gouverneur. C’était donc vous. Et dire que nous vous avions sous les yeux depuis le début.
Vos services ne pourront jamais nous faire plier et nos secrets vous seront toujours inaccessibles, Gouverneur Kelm’tek.
J’en doute. Mais revenons au présent. Rendez-vous et je m’engage à ce qu’il n’y ait pas de victimes chez les rebelles. Vous passerez en jugement, bien entendu, mais seule la prison leur sera réservée.
Xopilat’l ne put cacher un ricanement, puis ajouta :
Entre la mort et vos geôles, nous préférons souvent la mort. J’ai une autre proposition, annonça-t-il simplement en ouvrant sa main droite devant le groupe face à lui.
Au creux de sa paume, une sphère de quelques centimètres encadrait un point rouge pulsant lentement d’une lumière inquiétante. Immédiatement, les soldats accompagnant le gouverneur levèrent leurs armes, tandis que celui-ci reculait de plusieurs pas, une expression de terreur se dépeignant sur son visage. Xopilat’l poursuivit calmement :
Je meurs, tout explose, j’appuie, tout explose. Un groupe de partisans a placé des charges à la sortie des fours de craquage. Vous connaissez le processus, qu’arriverait-il si le minerai liquide brulant entrait au contact de l’air ou pire, au contact d’un conduit de minerai brut ?
... une réaction en chaine, grogna le gouverneur.
Exactement. Voici ma proposition : vous laissez partir tous les rebelles dans une navette qui va apparaitre d’ici une petite décille et je me rendrais à vous sans combattre. Bien sûr, vous récupèrerez la raffinerie entière sans une rayure... autre que celles déjà présentes.
Vous voulez vous livrer ? s’étonna Kelm’tek, dubitatif.
Absolument. Alors ?

Lorsque le modeste appareil sans matricule sortit de Transition à proximité de l’entrée du hangar secondaire, personne ne l’arrêta ou ne tenta de l’obliger à se poser. Il put traverser les lignes des forces de sécurité, prendre à son bord une vingtaine de Nalcoēhuals armés et repartir comme il était venu.
Xopilat’l reçu les premiers coups dès que le gouverneur le laissa seul, sans son scaphandre, sous la surveillance des quatre soldats qui l’avait accompagné. Il avait heureusement dissimulé son attelle sous plusieurs couches de vêtements. Cette fracture aurait agi comme un aimant pour la hargne de ses geôliers.


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